On se souvient toujours des atrocités, des gestes, des coups, des pensées immorales. On juge on s'exclame, on privilégie les victimes et on assassine de mots et de jurons l'absence d'humanité des coupables. Les cours nous servent à comprendre les épreuves traversées. Mais au final, nous manquons d'objectivité. Derrière les gestes, derrière les objets de torture, se cache un espoir. Qu'il soit enfermé dans un ouvrage, dans un camp, dans une tranchée, l'homme respire chaque seconde pour sa survie. Il croit. Il rêve. Il espère. Il doit y arriver, tout supporter avant la trêve. Il attend cette libération, il avance vers elle, pour la patrie, pour la délivrance. Nous, nous ne voyons pas le froid, nous ne voyons pas la peur. L'idée que peut être parfois, il riait, cet homme, avec le peu de vie qui lui réchauffait encore le cœur, ne nous effleure l'esprit. Pour nous tout est noir, ou ne l'est pas. Cet univers austère n'a pour nous aucun relief, aucune profondeur. Alors quand on nous donne la possibilité d'accéder à une telle réalité, de visualiser les murs, les tranchées, les galeries, de replacer l'atmosphère des livres dans son contexte, le trouble nous prend plus fort, le coup est plus rude. On pensait savoir, on se retrouve submergé par une vague de douleur, de noirceur, de peur. On regrette. On s'affole, on pleure. Enfin on demande pardon. Pardon de ne pas avoir été là, on aurait tellement aimé soutenir, guérir, sourire... On a jugé sans savoir vraiment. On a plaint ce déporté, ce soldat. Mais pour qui nous prenons nous ? Qui a le droit d'en dire un mot, d'en faire le blâme ? Pas nous. Certainement pas. Nous sommes ignorants, aveugles et sourds.
Nous avons le droit, que dis-je, le devoir, en revanche, de dire la vérité, d'aider ceux qui nous ont montré à transmettre la conscience. Le Simserhof. Le Struthof. Le hartmannswillerkopf. Et tant d'autre. Ils sont là. Ils existent, ou ont existé. Alors gardons en mémoire chaque souffle de chaque âme dans chaque corps mutilé ou banni, et l'image d'un exemple, en leur souffrance, à ne pas rappeler des fins fonds de l'enfer.
Il est bien aisé de se dire que ça n'arrive qu'aux autres. Nous sommes égoïstes de gestes, et généreux de plaintes. Encore même dans cet écrit, on parle de « nous », tandis que c'est « Vous » qui avez subi et subissez encore. Nous sommes une nouvelle génération, nous tentons de nous faufiler, doucement, dans la société, sans être écrasé, influencé. Vos actions, Vos lieux de mémoire, nous aident à comprendre ce qu'on ne nous dit pas, de comprendre la chance que l'on a et les ouvertures qui s'offrent à nous. Alors Vous qui vous êtes battus. Vous qui avez défendus. Que Vous soyez morts au front, dans un camp ou comme résistants. Que vous soyez hommes, femmes ou enfants, merci pour nous, merci pour tout.

Gaya

14 juin 2010, écrit à l'occasion d'un travail de mémoire lors d'un voyage en Alsace

Nous pour Vous car un jour Vous pour nous...

Partager cet article